Emmanuelle : primauté du droit d’informer sur le droit d’auteur

« La condamnation de la SAS Marie Claire Album au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par M. X ne se réclamerait d’aucune nécessité, ne répondrait pas à un besoin social impérieux de protection du droit d’auteur, constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et serait, partant, contraire à l’article 10 de la CESDH ». Dans son jugement du 31 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi rejeté les demandes de l’auteur de la photographie montrant Sylvia Kristel dans un fauteuil en rotin et qui avait servie à la promotion du film Emmanuelle, réalisé par Just Jaeckin.
Le photographe reprochait au site Staragora.com d’avoir reproduit et diffusé cette photo sans son autorisation ni mention de son nom, à l’occasion du décès de Sylvia Kristel en 2012. Si la matérialité de la contrefaçon n’a pas été contestée, le débat s’est porté sur l’exercice de la liberté d’expression de l’éditeur et de l’atteinte éventuelle disproportionnée que lui causerait une condamnation pour contrefaçon. Pour résoudre cette équation, le tribunal a procédé à un contrôle de conventionnalité des dispositions internes opposées et s’est assuré que la reconnaissance des droits du photographe ne constituerait pas une ingérence disproportionnée a but légitime reconnu par l’article 10.2 de la convention européenne des droits de l’homme.
Le tribunal commence par évoquer le fait que la page en question, sur un site désormais inexistant, a été diffusée pendant six ans mais n’a été consultée que 76 fois, et que le cliché a servi d’illustration pour un article sur le décès de la comédienne. Le tribunal en conclut que « si l’information portée à la connaissance du public par le truchement nécessaire de la reproduction de l’œuvre en débat n’est pas d’une importance majeure pour le débat public et ne mérite pas le niveau de protection accordée à l’expression et au discours politiques, l’intensité de l’atteinte au droit d’auteur de M. X est à ce point faible que la restriction à l’exercice de la liberté d’expression de la SAS Marie Claire Album qu’engendrerait une condamnation ne se justifie par aucun besoin social impérieux ». Et surabondamment, le tribunal considère que « même dans le cadre d’une mise en balance, les demandes de M. X auraient, dans ces circonstances particulières, été rejetées, rien ne justifiant concrètement que, en l’absence d’atteinte autre que de principe à un droit d’auteur à l’endroit duquel son titulaire a manifesté une certaine distance tant dans ses délais d’action que dans ses propos publics, le droit de propriété prime la liberté d’expression exercée pour traiter un évènement d’actualité ».

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Le cloud est un support soumis à la redevance pour copie privée

Dans un arrêt du 24 mars 2022, la Cour européenne de l’Union européenne estime que « l’expression « reproductions effectuées sur tout support », […], couvre la réalisation, à des fins privées, de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur sur un serveur dans lequel un espace de stockage est mis à la disposition d’un utilisateur par le fournisseur d’un service d’informatique en nuage ». Elle a ainsi interprété l’article 5, paragraphe 2, sous b) de la directive du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
Dans cette affaire, un fournisseur de service de stockage dans le cloud était en litige avec la société de gestion collective autrichienne des droits d’auteur au sujet de la rémunération due au titre du droit d’auteur. Le fournisseur de solutions cloud affirmait s’être déjà acquitté en Allemagne, où ses serveurs sont hébergés, de la redevance imposée au titre du droit d’auteur, cette redevance ayant été intégrée au prix de ces serveurs par le fabricant ou l’importateur de ceux-ci. Il a ajouté que les utilisateurs situés en Autriche avaient également payé une redevance pour la réalisation de copies privées sur les appareils terminaux nécessaires pour charger des contenus dans le cloud. Le tribunal de commerce de Vienne a donné gain de cause au fournisseur de cloud mais le tribunal régional supérieur a sursis à statuer et a posé deux questions préjudicielles à la CJUE.
Le tribunal a d’abord demandé à la Cour d’interpréter la notion « de tout » support » qui figure à l’article 5, paragraphe 2, sous b) de la directive du 22 mai 2001. Celui-ci dispose que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction « lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ». La Cour commence par indiquer que l’expression « reproduction » doit être entendue au large, prenant en compte le fait que les actes couverts par le droit de reproduction bénéficient d’une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur. Elle ajoute que le droit de reproduction découle également de l’objectif principal de la même directive, qui est d’instaurer un niveau de protection élevé en faveur, notamment, des auteurs. Pour ce qui est de la notion de « tout support », la Cour rappelle que peu importe qu’un « espace de stockage mis à la disposition de l’utilisateur par un fournisseur d’un service de cloud pour la réalisation d’une copie » ne soit pas défini par la directive et ne comporte pas de renvoi au droit des Etats membres pour en définir la portée. Il est, en effet, de jurisprudence constante que la Cour « doit trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de la disposition concernée, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont cette disposition fait partie ». Au vu des textes, elle affirme donc que la directive est susceptible de s’appliquer à des reproductions effectuées par une personne physique à l’aide d’un dispositif qui appartient à un tiers, sur tout support. Elle rappelle aussi que la directive « vise à créer un cadre général et souple au niveau de l’Union pour favoriser le développement de la société de l’information et à adapter et à compléter les règles actuelles en matière de droit d’auteur et de droits voisins pour tenir compte de l’évolution technologique, qui a fait apparaître de nouvelles formes d’exploitation des œuvres protégées ».
Dans sa seconde question, le tribunal voulait que la Cour se détermine sur le fait de savoir si cette disposition de la directive s’oppose à ce qu’une réglementation n’assujettisse pas les fournisseurs de services de stockage dans le cadre de l’informatique en nuage au paiement d’une compensation équitable. Et la Cour a répondu qu’elle ne s’y oppose « au titre de la réalisation sans autorisation de copies de sauvegarde d’œuvres protégées par le droit d’auteur par des personnes physiques, utilisatrices de ces services, pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, pour autant que cette réglementation prévoie le versement d’une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits ».

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Facta : effacement des données d’un client indûment transférées aux USA

Par un jugement du 7 février 2022, le tribunal judiciaire de Grenoble a ordonné à la Banque Rhône-Alpes de faire toutes diligences à ses frais auprès des autorités fiscales des Etats-Unis afin qu’elles procèdent à l’effacement total de ses déclarations Facta antérieures à 2017 impliquant à tort son client, sous astreinte de 1.500 € par jour de retard. Il condamne la banque à verser 15.000 euros de dommages et intérêts à cet homme indûment inscrit dans le traitement lié aux déclarations Facta, le Foreign Account Tax Compliance Act qui oblige les établissements bancaires du monde entier à déclarer aux autorités fiscales des Etats-Unis tout client considéré comme contribuable américain. Le tribunal a également ordonné l’exécution provisoire de la décision, eu égard à l’ancienneté et aux circonstances de cette affaire. Une ordonnance de référé du 4 juillet 2018 du TGI de Grenoble, confirmée en appel le 3 octobre 2019, avait déjà ordonné à la Banque Rhône-Alpes l’effacement total de toutes les données personnelles du client figurant par erreur dans ce traitement.
Tout a commencé par une erreur de la banque concernant le lieu de naissance de son client. Un Français né à Ottawa, capitale du Canada, avait reçu un courrier de sa banque, la Banque Rhône-Alpes, lui demandant de confirmer qu’il présentait bien des critères d’« américanité », en raison de son lieu de naissance et l’informant qu’elle déclarait donc l’existence de son compte aux autorités fiscales américaines. Le client a téléphoné à sa banque pour lui confirmer qu’il était né à Ottawa, au Canada. Malgré cette démarche, la banque a maintenu sa déclaration outre-Atlantique. Il a ensuite demandé la rectification de cette erreur par la banque qui s’y est opposée, affirmant qu’il existe des villes du nom d’Ottawa aux Etats-Unis et que le client ne justifiait pas ne pas y être né. Finalement, et après fourniture d’un extrait de naissance, la banque s’est exécutée pour 2017, mais pas pour les années antérieures.
En exécution de l’ordonnance de référé, la banque a adressé à la DGFip de Bercy une simple déclaration rectificative mais ne s’est pas adressée aux autorités américaines. Cette démarche a eu pour effet une rectification de l’inscription mais pas son effacement, ce qui ne produit pas les mêmes effets, notamment en termes de trace. Dans son jugement, le tribunal a donc ordonné cet effacement sur le fondement de l’article 17 du RGPD. Selon le tribunal, « la banque, professionnelle du droit et particulièrement tenue à ce titre d’un devoir de vigilance, ne pouvait ignorer que le droit à l’effacement est un droit reconnu tant par la législation française que par les textes et la jurisprudence européennes et ne pouvait ignorer les contraintes particulières attachées d’une part à la transmission de données vers un Etat n’appartenant pas à l’union européenne et d’autre part à l’exercice du droit d’effacement pour les traitements mis en œuvre par les administrations publiques. ».
Par ailleurs, le tribunal a rappelé que si, en vertu de l’accord Facta, les déclarations rectificatives auprès du fisc américain sont opérées par la DGFip, rien n’interdit à la banque d’effectuer directement cette démarche. Le tribunal a considéré que l’absence de démarches de la banque malgré les décisions en référé justifiait de prononcer des astreintes.
Par ailleurs, le client de la banque a fait l’objet d’une autre inscription au Facta par une société du groupe bancaire. En effet, la banque se réserve le droit de communiquer les données personnelles de ses clients aux sociétés du groupe mais aussi aux partenaires. Mais elle a refusé de transmettre la demande de son client aux entités du groupe concernant l’erreur sur son américanité. Le tribunal lui a ordonné de leur communiquer le jugement et l’alerte de ne pas l’inscrire au traitement Facta.
Le tribunal a condamné la banque à verser 15 000 € à son client pour la réparation de son préjudice moral. Il a pris en considération le fait que la déclaration au Fatca lui a causé un préjudice par l’inquiétude qu’il a pu légitimement ressentir non seulement lors des passages aux frontières US mais également quant à l’éventualité d’une poursuite par le fisc américain. En effet, il peut craindre d’être recherché ou poursuivi par les autorités fiscales américaines pour les années antérieures à 2017 d’autant qu’il apparaît que l’application de la loi fiscale américaine peut être rétroactive.

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Une cession de droits de PI à titre gratuit est une donation

Le tribunal judiciaire de Paris vient de lancer un pavé dans la mare en jugeant qu’une cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle constitue une donation, qui doit être passée devant notaire. Dans son jugement du 8 février 2022, le tribunal conclut à la nullité de l’acte de cession en cause, contracté sous seing privé.
Deux personnes avaient conçu des antennes permettant la réception de données de balises placées dans les colliers de chiens de chasse. Ils ont déposé ensemble une marque de l’Union européenne semi-figurative et des dessins ou modèles communautaires. Ces produits étaient distribués par deux sociétés dont ils étaient associés et aussi par la société Hermès I distribution dont un seul des deux partenaires était associé et gérant. Les titres de propriété intellectuelle ont été cédés à Hermès I et son gérant a aussi concédé une licence sur les marques ou modèles à deux autres sociétés. Son ex-associé a cependant « dénoncé » la cession des droits de propriété intellectuelle et a assigné son ex-partenaire en nullité du contrat de cession. Il a invoqué le fait que la cession étant consentie sans contrepartie financière, l’acte s’analyse donc comme une donation qui doit être consentie par un acte authentique. Le tribunal a approuvé cet argument. Il rappelle qu’aux termes de l’article 931 du code civil, une donation entre vifs doit passer devant notaire sous la forme ordinaire des contrats. Le code la propriété intellectuelle ne déroge pas à cette condition formelle des donations.

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Saisie : rétractation d’une ordonnance pour défaut de motif légitime

Par un arrêt du 8 février 2022, la cour d’appel de Pau a ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête portant sur une saisie, pour défaut de motif légitime, condition de validité imposée par l’article 145 du code de procédure civile. La cour a estimé que le juge qui l’avait autorisée n’a pas vérifié si l’ensemble des conditions étaient réunies. La rétractation a été jugée prononcée alors que la saisie avait déjà été effectuée. La Cour a donc exigé que les copies et les procès-verbaux soient restitués aux sociétés concernées et que les copies numériques des fichiers saisies soient complètement effacées et les procès-verbaux attestant de cette suppression leur soient remis.
Cette affaire complexe concerne une société qui avait acquis les droits de propriété intellectuelle sur trois logiciels appartenant à trois sociétés différentes. Diverses clauses de non-concurrence avaient été signées avec les partenaires concernés. Pour décider de la rétractation de l’ordonnance, la cour a, d’une part, estimé que les faits reprochés de concurrence déloyale de certains des partenaires ne reposaient sur aucun élément objectif communiqué à la cour. D’autre part, « sauf à faire produire à la clause de confidentialité pesant sur les autres prestataires de la société Sivan Innovation Ltd, les effets d’une clause de non-concurrence, le seul constat de leur participation commune à des sociétés créées dans le même secteur d’activité ou dans un secteur d’activité voisin, et leur collaboration avec la société Betterise Technologies ne suffisent pas à caractériser les éléments plausibles d’une concurrence déloyale, de nature à justifier les mesures très générales ordonnées en application de l’article 145 du code de procédure civile ».

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Hameçonnage : condamnation pour complicité d’escroquerie

Une fois n’est pas coutume, une affaire d’hameçonnage a été élucidée, quoique partiellement, et a conduit à la condamnation d’une des protagonistes, une complice mais pas les instigateurs du réseau. Celle-ci avait reçu 378 mandats représentant plus de 124 000 € dont près de 97 000 € avaient été transférés au Bénin. Par un jugement du 20 janvier 2022, le tribunal judicaire de Nantes a condamné pour complicité d’escroquerie et abus de bien social la femme qui servait d’intermédiaire en France. Elle écope d’une peine d’un an de prison avec sursis, ainsi que d’une interdiction d’exercer une profession commerciale ou de diriger une entreprise. Elle doit en outre verser 7 500 € aux parties civiles à titre de réparation, dont 2 000 € à Groupama dont le nom a été usurpé.
Dans le cadre d’un réseau d’escroquerie, des individus proposaient sur internet des emprunts, sans fourniture de justificatifs. Pour confirmer le contrat, ils demandaient le versement de divers frais sous forme de transfert d’espèces : une fois le paiement reçu, ils réclamaient des paiements supplémentaires pour poursuivre la transaction, mais la somme promise n’était jamais débloquée. La personne qui a été jugée dans cette affaire avait elle-même été victime de cette escroquerie. Elle avait reçu un email qui lui proposait des prêts sans passer par une banque et sans justificatifs. Comme son salon de coiffure se trouvait en difficulté, elle a cédé à la tentation et a demandé un prêt de 30 000 €. Son contact lui a demandé de verser 218 € pour frais de dossier, puis cinq mandats pour un total de 1 800 €. Comme elle n’arrivait plus à payer, le contact lui a proposé de recevoir des sommes de Western Union ou des mandats cash et de les lui reverser. Elle a accepté de participer à cette opération, espérant voire son prêt débloqué. Elle finira par comprendre, trop tard, qu’elle était le maillon d’une escroquerie quand une de ses cibles l’a contactée et lui a demandé à être remboursée.
Groupama avait constaté qu’une femme sur sa page Facebook prétendait être membre de la direction de cette mutuelle et qu’elle y annonçait des prêts à retirer auprès de Western Union. Elle a donc adressé une notification au réseau social demandant de retirer la page en question et de conserver les éléments d’identification. Quelques mois plus tard, le directeur de Tracfin signalait que cette femme avait été destinataire de plus de 124 000 € et avait transmis au Bénin plus de 97 000 € de mandats cash postaux et mandats Western Union vers quatre destinataires.

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Identification du directeur de la publication d’un compte Facebook grâce au téléphone

Par un jugement correctionnel du 3 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Fontainebleau a considéré que le téléphone portable utilisé pour créer le compte Facebook était un élément suffisant pour établir que le titulaire du numéro de téléphone possédait la qualité de directeur de publication du compte. En conséquence, il est condamné à ce titre pour la publication de propos diffamatoires à l’encontre du maire de Montereau.
Un habitant de Montereau est titulaire d’une page Facebook consacrée à sa ville. Il lui est reproché, en tant que directeur de la publication, d’avoir diffusé des propos diffamatoires à l’encontre du maire. Or, cet habitant conteste avoir cette qualité. Pourtant, suite à une ordonnance sur requête, Facebook Ireland Limited a communiqué les données de création du compte dont un numéro de téléphone vérifié qui correspond bien au titulaire du compte. Pour valider la création d’un compte, il faut confirmer le numéro de mobile par un chiffre envoyé par SMS. Pour s’opposer à ces éléments, il prétend, sans le prouver, que quelqu’un lui aurait emprunté à son insu son portable pour effectuer cette opération. Le tribunal a rejeté cette contestation estimant qu’« il résulte de ces éléments, qu’il est établi que M. Y. est à l’origine de la création de la page Facebook et à ce titre dispose de tous les éléments utiles à sa gestion et notamment les publications qui y figurent. Par conséquent, il y a lieu de le considérer comme directeur de publication. ». La diffamation étant établie, il est condamné, en tant que directeur de la publication à payer une amende de 500 €. Il est par ailleurs tenu de retirer le post litigieux, sous astreinte de 1 000 € et de publier le dispositif du jugement pendant trois mois. Il doit en outre verser au maire de la ville 1 000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et 1 500 € au titre des frais engagés pour se défendre.

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Twitter obligé de fournir des documents prouvant son manque de diligence

Par un arrêt très motivé du 20 janvier 2022, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de référé du 6 juillet 2021 qui avait ordonné à Twitter International Unlimited Compagny de communiquer, dans un délai de deux mois, aux associations de lutte contre le racisme « tout document administratif, contractuel, technique, ou commercial relatif aux moyens matériels et humains mis en œuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine ». La société américaine devait aussi fournir des informations notamment sur le nombre de signalements provenant des utilisateurs français, sur les retraits subséquents et le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes et notamment au parquet. Reste à savoir si Twitter va se plier à la décision française. Le réseau social n’avait pas exécuté l’ordonnance de référé bien qu’elle était exécutoire.
Les associations UEJF, SOS Homophobie, SOS Racisme, AIPJ, MRAP et LICRA, qui luttent contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie, reprochaient à Twitter de ne pas supprimer systématiquement et rapidement les messages racistes, antisémites ou homophobes qui sont publiés et signalés sur le réseau social. En vertu de l’article 6 V.1 de la LCEN, Twitter en tant qu’hébergeur est pourtant soumis à certaines obligations dont la lutte contre la diffusion de contenus illicites et leur retrait prompt. Les associations ont fourni un certain nombre d’éléments attestant de la faiblesse de l’action de Twitter pour respecter ses obligations. Et pour améliorer leur situation probatoire dans le cadre d’une éventuelle action en justice sur le fondement de l’article 6 V.1 de la LCEN, les associations ont demandé au juge des référés d’ordonner la communication de documents qui sont uniquement en possession de Twitter, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Le réseau social a contesté le fait de devoir communiquer ces documents. Or, pour convaincre le tribunal, les associations ont notamment fourni une étude portant sur 1 100 tweets qu’elles considèrent comme manifestement haineux dont seuls 126 ont été supprimés, soit 11,4 %. Elles ont aussi communiqué des attestations de personnes ayant signalé des propos racistes ou antisémites, toujours en ligne. Le tribunal estime que « dans ces conditions, les associations intimées, contrairement à ce que fait valoir l’appelante, disposent d’un certain nombre d’éléments factuels rendant crédibles la circonstance que Twitter ne supprimerait pas de manière efficiente les contenus haineux ». Il en a conclu qu’ils sont de nature à améliorer leur situation probatoire dans le cadre d’une éventuelle action en justice.

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Ni contrefaçon ni parasitisme pour une reprise partielle de « c’est la ouate » par la Maaf

Par un jugement du 21 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la nouvelle publicité de la Maaf diffusée sur Youtube, dont les personnages entonnent « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il préfère ! » et « C’est la Maaf que je préfère! », sans chanter l’air ou reprendre entièrement le texte de la chanson dont il s’inspire, ne constitue pas une contrefaçon ni un acte de parasitisme.
On se souvient de la chanson « C’est la ouate » interprétée en 1986 par Caroline Loeb dont elle est co-auteure et qui a été reprise dans la publicité de la Maaf dès 2004. Par contrat du 23 mars 2004, Universal Music Publishing avait consenti à l’ancien agent publicitaire de la Maaf l’autorisation sous conditions, de réenregistrer en l’adaptant, la chanson « C’est la ouate » à des fins publicitaires. Après deux renouvellements, ce contrat a pris fin le 11 mars 2019.
Le 26 décembre 2017, la Maaf a mis en ligne sur sa chaîne Youtube une vidéo présentant au public sa nouvelle saga publicitaire intitulée « Qui peut concurrencer la Maaf ? », dans laquelle ses nouveaux personnages jouent des saynètes qui se concluent toujours par la réplique suivante : « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il (elle) préfère ! ». Le compositeur et les deux co-auteurs ont considéré que par ses caractéristiques, celle-ci constituait une adaptation non autorisée du refrain de leur œuvre et ce, malgré l’absence de reprise de la musique. Et ils ont assigné la Maaf en contrefaçon et parasitisme.
Après avoir confirmé l’originalité de la chanson, les juges ont procédé à une analyse comparative de la chanson et du dernier spot publicitaire pour déterminer une éventuelle contrefaçon. Ils ont constaté que seule la chute de la phrase avait été conservée, c’est-à-dire le verbe « préférer » conjugué à la première ou à la troisième personne du singulier. Ils ont rejeté les demandes en contrefaçon estimant que « cette seule reprise ne peut être considérée comme la contrefaçon de l’expression litigieuse dans sa combinaison originale, dès lors qu’aucune autre des caractéristiques revendiquées n’a été utilisée ».
Ils ont également considéré que ce comportement constituait un agissement parasitaire visant à entretenir un risque de confusion dans l’esprit du public, lequel serait maintenu dans l’idée que la Maaf continue d’exploiter la chanson litigieuse. Le tribunal commence par rappeler que l’existence d’acte distincts de ceux qui fondent l’action en contrefaçon n’est pas requise en matière de parasitisme et qu’ils ne nécessitent pas, comme en matière de concurrence déloyale, que soit établi un risque de confusion auprès du public concerné.
Puis le tribunal admet que la reprise de la phrase « Y’a rien à faire c’est la Maaf qu’il/elle préfère » traduit la volonté de maintenir le lien avec la campagne précédente, dont il n’est pas contesté qu’elle a grandement participé au succès des services proposés par la Maaf. Mais ce seul slogan toutefois ne peut, en l’absence d’association avec la mélodie, être considéré comme une valeur économique attribuable aux auteurs de la chanson. Ensuite, il constate que « la notoriété de ce slogan, qui justifie sa reprise au sein de la nouvelle campagne publicitaire de la Maaf, est le fruit de ses propres investissements et non de ceux des auteurs, ce qui ne peut être contesté au vu des campagnes publicitaires massives de la demanderesse. Enfin, loin de traduire la volonté de la MAAF de se mettre dans le sillage de la chanson « C’est la ouate », le changement d’univers de sa campagne publicitaire au profit d’une parodie de films d’espionnage traduit au contraire la recherche d’un nouveau positionnement visant à s’en écarter ». Les demandes fondées sur le parasitisme sont également rejetées.

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Facebook contraint de communiquer les données d’identification en référé

Par une ordonnance de référé du 14 janvier 2022, le TGI de Paris a ordonné à Facebook Ireland Limited de communiquer les données d’identification du titulaire d’un compte Instagram anonyme, à l’origine de contenus malveillants. Pour les obtenir, il a fallu passer par la procédure de référé qui est plus longue que celle utilisée pour les ordonnances sur requête. Du fait de la nouvelle rédaction de l’article 6 II 8 introduite par la loi du 24 août 2021, il n’est plus possible d’obtenir ces informations par simple ordonnance sur requête. Désormais, il est écrit dans la nouvelle rédaction de cet article que « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Un photographe avait été harcelé sur Instagram par un compte anonyme qui informait ses contacts qu’il était un violeur et un agresseur. Ces actes ayant nui à sa réputation et à sa santé, il a décidé d’intenter un procès au titulaire du compte à l’origine de ces contenus. Encore fallait-il pouvoir l’identifier. D’où cette procédure en référé. Le tribunal a estimé que ces circonstances caractérisaient le motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile et « la communication demandée est proportionnées aux intérêts antinomiques en présence, le droit de la preuve de M. X., pour entreprendre le procès qu’il envisage, devant prévaloir sur l’anonymat du compte litigieux. La mesure demandée est donc légalement admissible. La communication sera donc ordonnée. » Le tribunal a ordonné à Facebook de fournir les données d’identification dans un délai de 15 jours mais sans astreinte.

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