Linagora / Blue Mind : la garantie d’éviction limitée dans le temps

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 novembre 2022 signe la fin du feuilleton judiciaire issu d’un conflit entre anciens associés de Linagora, qui avait défrayé la chronique du monde de l’open source en 2014. La cour d’appel a jugé que les deux ex-associés qui avaient fondé Blue Mind plusieurs années après avoir cédé leurs parts de Linagora (qui avait racheté Aliasource) n’avaient pas violé la garantie légale d’éviction à laquelle ils étaient tenus du fait de leur qualité de cédants des titres de la société Aliasource, pour des faits qui ont tous eu lieu plusieurs années après la cession. Ces faits « ne peuvent entrer dans le champ protecteur des droits du cessionnaire de la garantie légale d’éviction, qui doit nécessairement être limitée dans le temps pour ne pas contrevenir au principe à valeur constitutionnel de la liberté d’entreprendre ». Cette décision intervient sur renvoi d’un arrêt de la Cour de cassation qui avait partiellement invalidé la première décision d’appel. En concluant que les dirigeants de Blue Mind avaient manqué à leur obligation née de la garantie légale d’éviction « sans rechercher concrètement si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés », la cour d’appel avait privé sa décision de base légale, a estimé la Cour de cassation.
Deux associés avaient créé la société Aliasource, proposant des solutions open source, qui avait été rachetée en 2007 par Linagora. Ils avaient conservé des responsabilités de salariés dans le nouveau groupe. Mais en 2010, ils avaient démissionné de leurs fonctions et revendu leurs actions à Linagora, en raison de divergences de vue avec la direction. L’un d’eux a créé la société Blue Mind et le second l’a rejoint après. Linagora leur a reproché d’avoir violé la garantie légale d’éviction en lui interdisant de jouir de la possession paisible de la chose vendue. Elle soutenait que ses deux ex-associés lui avaient causé un préjudice par le fait d’avoir démarché et détourné sa clientèle, dénigré son logiciel OBM, capté parasitairement son savoir-faire intellectuel et industriel, de s’être approprié illicitement la technologie cédée à Linagora, d’avoir débauché des salariés, désorganisé la société et créé une société concurrente, Blue Mind.
La cour d’appel rappelle qu’en cas de cession de parts sociales, le cédant est tenu, comme dans toute vente, à garantie contre l’éviction dans les conditions prévues par les articles 1626 à 1640 du code civil et il doit s’abstenir de tout acte de nature à empêcher la poursuite de l’activité économique de la société. Cependant, ajoute-t-elle, « cette exigence légale de non-concurrence née de la garantie d’éviction doit être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur à raison de l’acquisition à laquelle il a procédé et ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie, et par conséquent, à la liberté d’entreprendre, qui a valeur constitutionnelle. Le respect du principe de la liberté du commerce et de l’industrie exige ainsi que l’interdiction de concurrence soit délimitée quant à l’activité interdite d’une part et quant au cadre spatiotemporel dans lequel cette activité est interdite d’autre part. Cette délimitation doit s’apprécier in concreto, au regard de l’activité et du marché concernés ».

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Signal-arnaques condamné pour des commentaires dénigrants

Ce n’est pas la première fois que Heretic, l’éditeur de Signal-arnaques.com, est condamné pour avoir publié un article ou des commentaires jugés dénigrants à l’égard d’un site. Mais le montant de la condamnation n’a jamais été aussi élevé. Par un jugement du 21 septembre 2022 du tribunal de commerce de Paris, l’éditeur de ce site dédié à l’information des consommateurs doit verser 25 000 euros pour préjudice moral et 10 000 euros au titre de l’article 700 du CPC à la société objet des commentaires négatifs. Et pour la première fois, il doit publier un communiqué judiciaire indiquant les mesures prononcées par le jugement sur sa page d’accueil.
Ecoservices propose en ligne des documents, tels que des contrats types préremplis ou des lettres types, sous la forme d’abonnement mensuel, précédé d’une offre promotionnelle à prix réduit d’une durée de 48 heures. Des internautes mécontents ont utilisé le site Signal-arnaques pour dénoncer le fait de s’être vus orientés d’une offre à un euro le formulaire vers la souscription à un abonnement mensuel, sans en avoir eu vraiment conscience. Une grande partie des messages publiés utilisait les termes d’« arnaque » ou d’« escroquerie ».
Dans cette affaire, il n’appartenait pas au tribunal de se prononcer sur la réalité des faits reprochés mais sur le caractère fautif des messages et commentaires diffusés sur le site hébergeur. D’abord, le tribunal a considéré que Signal-arnaques n’avait pas respecté l’article L 111-7-2 du code la consommation qui dispose que « toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ». Par ailleurs, les juges consulaires ont estimé que les propos étaient clairement dénigrants. Ils ont relevé qu’une grande partie des messages diffusés sur le site se résumait au substantif dénigrant d’« arnaque », terme constitutif du nom du site Signal-arnaques.com qui « utilise ce « mot valise » comme une sorte de point de ralliement pour sa clientèle ». Dans ces conditions, estime le tribunal, « il n’est pas étonnant qu’Heretic s’expose ainsi à ce grief de dénigrement, ici parfaitement caractérisé puisque que les propos querellés dépassent manifestement les limites de la liberté d’expression ».
En tant qu’hébergeur de commentaires dénigrants qualifiés par le tribunal d’illicites, la responsabilité d’Heretic est engagée. Peu importe que Ecoservices n’ait pas respecté le formalisme de notification de la LCEN car « Heretic était parfaitement informé du grief formé par Ecoservices à son encontre, notamment par les multiples lettres de mise en demeure adressées par la seconde à la première ».

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Obligation de collaboration du client en cas de dysfonctionnements

En cas de dysfonctionnements, le client a l’obligation de collaborer avec le prestataire à la résolution des problèmes. Dans un arrêt du 11 octobre 2022, la cour d’appel de Rennes en a déduit que le client ne pouvait pas refuser l’offre de son prestataire de vérifier avec lui les causes de l’apparition du problème et les moyens d’y remédier. « En s’abstenant en effet de rechercher une solution technique avec son cocontractant, elle [la société cliente] s’est interdit de démontrer que le grief allégué existe, est pérenne, et interdit toute poursuite du contrat ». Dans ces conditions, la cour a estimé que ni la résolution ni la résiliation du contrat n’étaient justifiées.

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La Cour de cassation valide l’action en contrefaçon en cas de non-respect d’une licence de logiciel

Par un arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel en ce qu’elle avait déclaré irrecevable la société Entr’Ouvert à agir en contrefaçon de logiciel. Au titre de la violation du contrat de licence liant les parties, l’arrêt d’appel avait retenu que « la CJUE ne met pas en cause le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et il en déduit que, lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un manquement contractuel, seule une action en responsabilité contractuelle est recevable ». La Cour de cassation rappelle que la Cour de justice de l’UE avait conclu, dans un arrêt du 18 décembre 2019, « que « la directive [2004/48] et la directive [2009/24] doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’ « atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».
En outre, la Cour indique que l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à 2016, prévoyait qu’en cas d’inexécution de ses obligations nées du contrat, le débiteur pouvait être condamné à des dommages-intérêts, qui ne pouvaient, en principe, excéder ce qui était prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement. Par ailleurs, selon l’article 145 du code de procédure civile, les mesures d’instruction légalement admissibles ne permettent pas la saisie réelle des marchandises arguées de contrefaçon ni celle des matériels et instruments utilisés pour les produire ou les distribuer. Pour la Cour de cassation, « il s’en déduit que, dans le cas d’une d’atteinte portée à ses droits d’auteur, le titulaire, ne bénéficiant pas des garanties prévues aux articles 7 et 13 de la directive 2004/48 s’il agit sur le fondement de la responsabilité contractuelle, est recevable à agir en contrefaçon ».
Fin 2005, Orange avait répondu à un appel d’offre de l’Agence pour le gouvernement de l’administration électronique relatif à la mise en place du portail Mon service public, pour la fourniture d’une solution informatique de gestion d’identité. Orange avait proposé une solution comprenant l’interfaçage d’une plateforme IDMP avec la bibliothèque logicielle Lasso éditée par la société Entr’ouvert, sous licence GNU GPL. Or, cette dernière avait estimé qu’Orange n’avait pas respecté les termes de cette licence et l’avait assigné en contrefaçon après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon. Entre’ouvert considérait que l’atteinte portée au droit d’auteur relevait du régime de la contrefaçon. Mais le TGI de Paris confirmé par la cour d’appel avait conclu que « la société Entr’ouvert poursuit en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution par les sociétés défenderesses d’obligations résultant de la licence et non pas la violation d’une obligation extérieure au contrat de licence ». En conséquence, les manquements à l’une de ses stipulations relevaient du droit de la responsabilité contractuelle et non de la contrefaçon.

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Télécoms : condamnation pour remise tardive du RIO

L’opérateur de communications électroniques qui a tardé à communiquer le RIO (le Relevé d’Identité Opérateur, l’identifiant unique d’une ligne téléphonique) à son client qui souhaitait rejoindre un autre opérateur a commis une faute. Par un arrêt du 9 septembre 2022, la cour d’appel de Paris a jugé que l’opérateur avait engagé sa responsabilité, la clause limitative de responsabilité de l’opérateur initial n’étant pas opposable car il n’a pas respecté une obligation d’ordre public inscrite à l’article L 44 du code des postes et des communications électroniques. En application du principe de simple guichet adopté pour le processus de conservation des numéros fixes, ce texte prévoit que l’opérateur donneur est tenu de communiquer le code RIO à l’opérateur receveur qui le lui réclame en exécution du mandat de résiliation que celui-ci a reçu de l’abonné. En conséquence, la responsabilité de l’opérateur fautif est engagée. La cour d’appel a débouté le client de ses demandes d’indemnisation de son préjudice économique faute d’avoir justifié des coûts que lui auraient occasionnés l’indisponibilité de sa ligne téléphonique et de son accès à internet. Elle lui a cependant octroyé 6 000 € pour la réparation de son préjudice moral et 5 000 € au titre des frais engagés pour se défendre.

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Google My Business : « une finalité commerciale cachée »

Ce n’est pas la première décision sur les fiches professionnelles de Google My Business (GMB), il suffit de consulter Legalis pour s’en convaincre. Mais jamais un jugement qui oppose un professionnel à Google sur ces fiches comportant des avis d’internautes, ne va aussi loin dans sa motivation. Sur le fondement de plusieurs manquements au RGPD, le tribunal judiciaire de Chambéry a condamné, le 15 septembre 2022, Google France, Google LLC et Google Ireland Ltd à supprimer la fiche GMB d’une dentiste. Les trois sociétés dont la responsabilité est engagée doivent verser 20 000 € à la dentiste, en réparation de son dommage moral, et 20 000 € au titre des frais qu’elle a dû engager pour se défendre.
En 2017, la professionnelle de santé avait découvert l’existence d’une fiche GMB la concernant, comportant son nom, son adresse, une notation et des avis liés à son activité professionnelle. Face au refus de Google de supprimer ces avis et la fonction « avis » de sa fiche, elle a assigné en justice les trois sociétés Google. Google France a demandé, comme à son habitude, à être mise hors de cause. Ce que le tribunal a rejeté au motif que le traitement de données issu de GMB est effectué dans le cadre des activités publicitaires de Google France qui sont indissociablement liées à celles du groupe et qui permettent de proposer un annuaire professionnel qualitatif et gratuit qui lui-même enrichit les activités de publicité du groupe. La professionnelle a fait l’objet d’une prospection par Google France qui doit donc être reconnue comme responsable du traitement.
La dentiste invoquait l’atteinte à ses données personnelles et le tribunal lui a donné gain de cause. Il a d’abord jugé que le traitement n’est pas licite. Pour l’être, le traitement doit satisfaire à au moins une des six conditions de l’article 6 du RGPD, dont le consentement de la personne. Concernant ce point, il apparaît que la dentiste n’a pas consenti à ce que ses données figurant dans le fichier d’Orange, opérateur auprès duquel elle est abonnée, soient communiquées à la société Infobel qui les a fournies à Google. Elle n’a donc pas consenti au traitement GMB.
Google a par ailleurs invoqué le fait que le consentement ne serait pas nécessaire du fait que son traitement correspond à un intérêt légitime, autre condition de l’article 6. Celui-ci découlerait du droit à l’information du public, notamment justifié par le critère de la nécessité de trouver rapidement une information liée à une urgence sanitaire, que le tribunal a mis en balance avec la protection des données personnelles. Cet intérêt légitime qu’est l’information doit être déterminé de manière claire et précise, rappelle le tribunal. Celui-ci se pose cependant la question de l’intérêt réel de Google. Il constate que « si la diffusion de la seule fiche du professionnel poursuit en effet un caractère informatif, la diffusion combinée de la fiche et des avis constitue le moyen pour les sociétés Google d’inciter fortement les professionnels à recourir à ses services, qu’ils soient gratuits ou payants. C’est dès lors de mauvaise foi que les défenderesses prétendent que le traitement réalisé dans le cadre de la publication de la fiche entreprise est décorrélé des actes de prospection commerciale auxquels elles se livrent ». Ce traitement a donc « une finalité commerciale cachée » selon le tribunal qui ajoute que ce devoir d’information doit être correctement rempli. Pour que le droit à l’information ne contrevienne pas aux droits de la personne en question, encore faut-il que cette information soit fiable et vérifiable. Or, quiconque peut de façon anonyme publier un avis sans que le professionnel puisse s’assurer de la réalité des faits, Google n’ayant pas mis en place de mesures permettant d’identifier si besoin la source de l’information et de vérifier sa fiabilité. Dès lors, il existe un « déséquilibre patent entre le professionnel et l’utilisateur et l’incidence pour le professionnel concerné peut être importante ». Le tribunal considère donc que les sociétés Google n’ont absolument pas procédé à une pondération entre leur intérêt légitime de participer à l’information et les droits et intérêts des personnes dont les données sont traitées et n’ont pas proposé de garanties supplémentaires ou autres mesures additionnelles afin d’atteindre un équilibre entre les droits et intérêts en cause. Le tribunal en conclut que Google ne justifie pas d’un intérêt légitime lui permettant de passer outre le consentement de la personne.
La dentiste invoquait également le défaut de loyauté de Google. Cela implique que les données ne soient pas traitées de manière préjudiciable pour la personne et que celle-ci soit dotée des moyens pour revendiquer des droits et demander des comptes au responsable de traitement, notamment d’être informée de la transmission de ses données à des tiers. Faute d’avoir communiqué ces informations, lorsque les données ont été collectées, ou lorsque la fiche a été créée ou les avis diffusés, Google n’a pas respecté le principe de loyauté. Le groupe Google n’a pas davantage respecté le principe de transparence en n’informant pas la professionnelle sur le traitement, les règles ou les garanties. Elle a également invoqué le droit de s’opposer au traitement de données. Le tribunal lui a donné gain de cause, en se fondant sur l’illégalité dudit traitement, comme motif légitime, mais également en raison des activités de prospection commerciale de Google.

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Le CNB enjoint de communiquer l’annuaire des avocats en open data

« En refusant de mettre en ligne, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, le document administratif communicable à toute personne que constitue le fichier correspondant à l’annuaire national des avocats qu’il établit conformément à l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971, comportant les informations énumérées au point 18, le Conseil national des barreaux a méconnu les dispositions du code des relations entre le public et l’administration citées au point 1 », a jugé le Conseil d’Etat par une décision du 27 septembre 2022. En conséquence, il annule le jugement du tribunal administratif de Paris qui avait rejeté la demande d’annulation de la décision de rejet du CNB et il enjoint ce dernier de mettre en ligne l’annuaire national des avocats dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, dans un délai d’un mois à compter de la présente décision, sans toutefois l’assortir d’une astreinte.
L’association Ouvre-boîte avait notamment demandé la communication par voie de publication en ligne de l’annuaire des avocats inscrits aux tableaux et listes nationales, etc., comportant le nom et le prénom de chacun d’eux, son adresse professionnelle, son identifiant et son numéro de toque, sa nationalité, sa date de prestation de serment, le nom de sa structure d’exercice, le numéro d’immatriculation de cette dernière, ses bureaux secondaires et la liste des collaborateurs y exerçant, sa  » catégorie professionnelle « , etc. Le CNB n’avait pas répondu à sa demande. L’association a donc demandé l’annulation de cette décision implicite de rejet. Selon le Conseil d’Etat, « il résulte de l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 que le législateur a entendu investir le Conseil national des barreaux d’une nouvelle fonction, se rattachant à sa mission de service public relative à l’organisation de la profession réglementée d’avocat, consistant à constituer et à rendre accessible au public la liste à jour des avocats inscrits au tableau d’un barreau. L’annuaire national qu’il incombe à ce dernier d’établir et de mettre à jour constitue ainsi, dans son intégralité, un document administratif ». Et s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, le Conseil d’Etat considère que le CNB, saisi d’une demande en ce sens, a l’obligation de publier en ligne le fichier correspondant à l’annuaire national des avocats dans son intégralité dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, ainsi que, spontanément, chaque mise à jour. Par ailleurs, alors que le fichier comporte des données personnelles, le Conseil d’Etat estime que cet annuaire constitue « un document administratif communicable à toute personne qui en fait la demande et qui, étant nécessaire à l’information du public sur les conditions d’organisation et d’exercice de la profession réglementée d’avocat, peut être mis en ligne sans faire l’objet d’un traitement permettant de rendre impossible la réidentification des personnes, conformément aux dispositions de l’article D. 312-1-3 du même code ».

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L’auteure d’un tract contre le maire de Deauville identifiée par son ordinateur

Quand on écrit un tract anonyme injurieux sur son ordinateur, difficile d’affirmer qu’on n’y est pour rien. Surtout si une expertise judiciaire prouve le contraire. Par un arrêt du 19 septembre 2022, la cour d’appel de Caen a condamné à 3 000 € d’amende, pour injure publique envers un particulier, l’auteure d’un tract diffusé dans les boîtes à lettres, destiné à jeter l’opprobre sur le maire de Deauville, candidat à sa réélection aux municipales.
Le tract distribué par la poste et diffusé sur Facebook accusait le maire de Deauville de soutenir l’antisionisme. Le texte du tract ne visait pas le maire ès qualités mais sa personne. Selon la cour, le contexte électoral en arrière-fond n’a pas fait disparaître le caractère outrageant des écrits. Le tract contenait donc une injure publique envers un particulier. Le texte anonyme envoyé par la poste aux habitants de Deauville sélectionnés en fonction de leur origine, avait également été posté sur le compte Facebook d’un homme s’avérant être le concubin de la prévenue, elle-même également candidate aux élections. Une perquisition a été effectuée au domicile de cette dernière, conduisant à une saisie de divers matériels informatiques. Suite à cette opération, le couple a demandé la restitution du MacBook, au motif qu’il aurait été acquis après les faits. La restitution a été refusée et une expertise a été ordonnée sur tous les ordinateurs saisis dont le MacBook, dans lequel on a trouvé les fichiers relatifs au tract litigieux. L’expertise a permis notamment de démontrer que le tract avait bien été écrit sur l’ordinateur litigieux dont la prévenue est la seule utilisatrice. Ce qui a permis à la cour de retenir la culpabilité de la prévenue.

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Contrefaçon de dessins : sans alerte de l’hébergeur, pas de responsabilité

Par un jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a refusé de mettre en œuvre la responsabilité d’une plateforme qui avait hébergé un photomontage contrefaisant deux logos déposés à l’Inpi en tant que dessins : l’auteur aurait dû alerter la plateforme du contenu illicite hébergé avant de procéder à la saisie-contrefaçon.
La société Art Majeur propose un service de plateforme de publication d’images dont elle ne contrôle pas le contenu. Un artiste amateur y avait publié un photomontage réalisé en mêlant son portrait, des drapeaux américains et deux logos protégés en tant que dessins, déposés à l’Inpi. Une saisie-contrefaçon a été pratiquée par l’ayant-droit mais ce dernier n’a pas alerté la plateforme qu’il s’agissait d’une copie, avant d’effectuer cette opération. Dès lors, la société Art Majeur, en qualité d’hébergeur, n’encourt aucune responsabilité civile du fait de la publication sur sa plateforme du photomontage contenant un logo contrefait. Il aurait dû adresser un message ou un courrier recommandé contenant tous les éléments prévus par l’article 6 I.5 de la loi du 21 juin 2004 à la société Art Majeur dont les coordonnées figuraient dans les mentions légales du site.

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Google / France-Soir : les CGU, une arme contre la désinformation

Par un jugement de 37 pages très motivé du 6 septembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a donné gain de cause à Google qui avait déréférencé le site Francesoir.fr de Google Actu, estimant qu’il n’avait pas respecté les « Règles de Google Actualité » sur la fiabilité et la qualité de l’information, suite à la publication de nombreux articles niant l’existence, la contagiosité et la mortalité du covid-19. Le tribunal a rappelé que si la convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression, elle prévoit cependant que son exercice n’est pas pour autant absolu et sans limite. Dans ces conditions, le tribunal a reconnu que Google était en droit d’édicter des règles déterminant les conditions d’éligibilité de son service et de déréférencer le site non conforme à sa conception de la qualité et de la fiabilité de l’information.
Si France-Soir, créé en 1944, a été un grand quotidien tirant jusqu’à 1,5 millions d’exemplaires, il est devenu un site en ligne polémique. Il a publié de 2011 à 2021 55 000 articles de presse référencés sur Actu et dont la plupart proviennent de contributions bénévoles. Le site n’emploie plus que deux journalistes professionnels, dont l’un est dédié à la vidéo, et celui qui est investi sur Actu n’a pas les moyens de vérifier les informations contenues dans les nombreux articles des contributeurs mis en ligne. Il a , par ailleurs, choisi un positionnement éditorial volontairement en rupture avec le consensus, notamment sur la question du covid.
De son côté, Google Actu est un prestataire de service qui fournit un moteur de recherche spécialisé dans l’actualité proposant des articles de presse contenant des informations « fiables, de haute qualité, récentes, originales et pertinentes », selon les « Informations consommateurs » de Google. Sur les contenus médicaux, il est imposé des règles de transparence, avec indication des sources, la date, le nom de l’auteur, etc. Son article 3 stipule par ailleurs que si le contenu n’est pas conforme à ses règles, il peut être déréférencé. Confronté à la publication de contenus litigieux et contraires à ses règles, Google a donc déréférencé le site d’Actu, il a supprimé la chaîne de Youtube et désactivé le compte Ad. Le référencement a toutefois été maintenu sur le moteur de recherche Google car les conditions générales ne sont pas les mêmes.
En réponse, France-Soir a assigné Google en référé pour obtenir le rétablissement du service. Débouté, il a introduit une action au fond en invoquant plusieurs fondements. Le tribunal a commencé par écarter l’argument tiré de la liberté d’expression, rappelant que celle « d’un éditeur n’est pas supérieure au droit à la liberté de la plateforme d’édicter des règles déterminant les conditions d’éligibilité à son service afin de garantir l’image, la qualité de son objet, objet qu’elle a toute liberté de définir dans le cadre de sa liberté d’entreprendre ». France Soir a également invoqué le fait que son déréférencement d’Actu et sa disparition de YouTube et d’Ad sont constitutifs d’un abus de la position dominante de Google sur le marché de ses trois services et que ses règles ne sont pas objectives, transparentes ni légitimes et ont pour but de contourner la loi sur les droits voisins et la décision de l’Autorité de la concurrence. Le tribunal a rejeté ces arguments comme celui tiré des pratiques restrictives de concurrence.

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