Google condamné à plus d’un million d’euros pour abus de position dominante
En suspendant plusieurs fois les annonces publicitaires de l’opérateur de renseignements téléphoniques Oxone puis en édictant une nouvelle règle interdisant l’accès des annonces de renseignements téléphoniques à ses prestations de publicité en ligne, Google s’est rendu coupable de pratique anticoncurrentielle par abus de position dominante, a jugé le tribunal de commerce de Paris dans un jugement du 10 février 2021. Il condamne Google Ireland à verser à Oxone plus d’un million d’euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’interruption d’activité et de la perte de marge qui en a résulté, 100 000 € au titre du préjudice moral, et 50 000 € au titre de l’article 700 du code procédure civile.
Oxone est un opérateur de renseignement téléphonique depuis 2018. Afin de permettre l’accès à ses services de renseignement téléphonique, il a créé plusieurs sites internet renvoyant à ses numéros 118. Pour faire la promotion de ses numéros, il a utilisé le service de Google Ads. Ces annonces apparaissent sur le moteur de recherche identifiés comme « annonces », en fonction des requêtes des internautes et des enchères. Fin décembre, Google l’a informé qu’il suspendait la diffusion de ses annonces au motif qu’il refusait la « vente d’objets gratuits ». Après réclamation d’Oxone, les annonces ont été rétablies. A partir de cette date et jusqu’en février 2020, Google a refusé des annonces puis suspendu certains comptes ouverts par l’opérateur. Parallèlement, le 11 septembre 2019, Google avait informé les annonceurs de sa décision de modifier ses conditions générales à compter du mois de décembre, délai qui sera ultérieurement reporté à mars 2020, en vue de ne plus autoriser les annonces pour les services de renseignements téléphoniques de transfert et d’enregistrement d’appel. A partir de la fin mars 2020, Google a suspendu définitivement les annonces d’Oxone, qui sera placée par la suite en redressement judiciaire. Oxone et les organes de la procédure de redressement judiciaire ont assigné Google pour abus de position dominante.
Le tribunal de commerce de Paris commence par affirmer que Google se trouve bien en position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, comme l’a relevé l’Autorité de la Concurrence dans sa décision du 19 décembre 2019. Les sociétés de renseignement téléphonique, qui n’ont pas une notoriété propre, doivent en effet passer par une publicité en ligne et donc utiliser les services de Google Ads, acteur presque monopolistique sur ce marché, soit 90 %.
Comme le souligne le tribunal, Google se doit de respecter une grande prudence pour éviter toute pratique anticoncurrentielle qui aurait une répercussion sur le marché aval des services d’annuaire qu’ils soient en ligne ou téléphonique et ainsi ne pas abuser de sa position dominante. Or, ce n’est pas le cas. Aucune explication n’a été donnée par Google pour justifier les interruptions des annonces d’Oxone intervenues avant 2019 et qui ont donné lieu par la suite à un rétablissement.
En mars 2019, Google a modifié ses conditions générales éliminant de son service les services de renseignements téléphoniques de transfert et d’enregistrement d’appel. Google justifie ce refus de vente par des plaintes de consommateurs et une enquête ancienne de la DGCCRF. Or, Google n’apporte aucun élément probant pour justifier une règle d’éviction. Le tribunal rappelle au contraire que la protection du consommateur est assurée par l’Arcep qui attribue ces numéros de services de renseignements et assure un contrôle de cette profession. Il constate par ailleurs la mise en place de cette nouvelle règle de façon concomitante au développement du service de Google My Business et l’extension Click To Call, qui offre un service identique à celui d’Oxone. Google « a un intérêt évident à éliminer toutes sociétés permettant une mise en contact téléphonique qui deviennent concurrentes à ses propres produits. La mise en place de cette règle doit donc être considérée comme une manœuvre anticoncurrentielle », estime le tribunal qui conclut que « Google ne pouvait ignorer qu’en privant de son service de publicité en ligne les sociétés de renseignement téléphonique elle éliminait celles-ci qui n’avaient aucune alternative ».