Google My Business : « une finalité commerciale cachée »
Ce n’est pas la première décision sur les fiches professionnelles de Google My Business (GMB), il suffit de consulter Legalis pour s’en convaincre. Mais jamais un jugement qui oppose un professionnel à Google sur ces fiches comportant des avis d’internautes, ne va aussi loin dans sa motivation. Sur le fondement de plusieurs manquements au RGPD, le tribunal judiciaire de Chambéry a condamné, le 15 septembre 2022, Google France, Google LLC et Google Ireland Ltd à supprimer la fiche GMB d’une dentiste. Les trois sociétés dont la responsabilité est engagée doivent verser 20 000 € à la dentiste, en réparation de son dommage moral, et 20 000 € au titre des frais qu’elle a dû engager pour se défendre.
En 2017, la professionnelle de santé avait découvert l’existence d’une fiche GMB la concernant, comportant son nom, son adresse, une notation et des avis liés à son activité professionnelle. Face au refus de Google de supprimer ces avis et la fonction « avis » de sa fiche, elle a assigné en justice les trois sociétés Google. Google France a demandé, comme à son habitude, à être mise hors de cause. Ce que le tribunal a rejeté au motif que le traitement de données issu de GMB est effectué dans le cadre des activités publicitaires de Google France qui sont indissociablement liées à celles du groupe et qui permettent de proposer un annuaire professionnel qualitatif et gratuit qui lui-même enrichit les activités de publicité du groupe. La professionnelle a fait l’objet d’une prospection par Google France qui doit donc être reconnue comme responsable du traitement.
La dentiste invoquait l’atteinte à ses données personnelles et le tribunal lui a donné gain de cause. Il a d’abord jugé que le traitement n’est pas licite. Pour l’être, le traitement doit satisfaire à au moins une des six conditions de l’article 6 du RGPD, dont le consentement de la personne. Concernant ce point, il apparaît que la dentiste n’a pas consenti à ce que ses données figurant dans le fichier d’Orange, opérateur auprès duquel elle est abonnée, soient communiquées à la société Infobel qui les a fournies à Google. Elle n’a donc pas consenti au traitement GMB.
Google a par ailleurs invoqué le fait que le consentement ne serait pas nécessaire du fait que son traitement correspond à un intérêt légitime, autre condition de l’article 6. Celui-ci découlerait du droit à l’information du public, notamment justifié par le critère de la nécessité de trouver rapidement une information liée à une urgence sanitaire, que le tribunal a mis en balance avec la protection des données personnelles. Cet intérêt légitime qu’est l’information doit être déterminé de manière claire et précise, rappelle le tribunal. Celui-ci se pose cependant la question de l’intérêt réel de Google. Il constate que « si la diffusion de la seule fiche du professionnel poursuit en effet un caractère informatif, la diffusion combinée de la fiche et des avis constitue le moyen pour les sociétés Google d’inciter fortement les professionnels à recourir à ses services, qu’ils soient gratuits ou payants. C’est dès lors de mauvaise foi que les défenderesses prétendent que le traitement réalisé dans le cadre de la publication de la fiche entreprise est décorrélé des actes de prospection commerciale auxquels elles se livrent ». Ce traitement a donc « une finalité commerciale cachée » selon le tribunal qui ajoute que ce devoir d’information doit être correctement rempli. Pour que le droit à l’information ne contrevienne pas aux droits de la personne en question, encore faut-il que cette information soit fiable et vérifiable. Or, quiconque peut de façon anonyme publier un avis sans que le professionnel puisse s’assurer de la réalité des faits, Google n’ayant pas mis en place de mesures permettant d’identifier si besoin la source de l’information et de vérifier sa fiabilité. Dès lors, il existe un « déséquilibre patent entre le professionnel et l’utilisateur et l’incidence pour le professionnel concerné peut être importante ». Le tribunal considère donc que les sociétés Google n’ont absolument pas procédé à une pondération entre leur intérêt légitime de participer à l’information et les droits et intérêts des personnes dont les données sont traitées et n’ont pas proposé de garanties supplémentaires ou autres mesures additionnelles afin d’atteindre un équilibre entre les droits et intérêts en cause. Le tribunal en conclut que Google ne justifie pas d’un intérêt légitime lui permettant de passer outre le consentement de la personne.
La dentiste invoquait également le défaut de loyauté de Google. Cela implique que les données ne soient pas traitées de manière préjudiciable pour la personne et que celle-ci soit dotée des moyens pour revendiquer des droits et demander des comptes au responsable de traitement, notamment d’être informée de la transmission de ses données à des tiers. Faute d’avoir communiqué ces informations, lorsque les données ont été collectées, ou lorsque la fiche a été créée ou les avis diffusés, Google n’a pas respecté le principe de loyauté. Le groupe Google n’a pas davantage respecté le principe de transparence en n’informant pas la professionnelle sur le traitement, les règles ou les garanties. Elle a également invoqué le droit de s’opposer au traitement de données. Le tribunal lui a donné gain de cause, en se fondant sur l’illégalité dudit traitement, comme motif légitime, mais également en raison des activités de prospection commerciale de Google.