Un hébergeur condamné pour contrefaçon
Par un jugement très motivé du 23 avril 2021, le tribunal correctionnel de Nancy a condamné un hébergeur et son représentant légal pour complicité de fourniture de moyens de contrefaçon par reproduction, pour contrefaçon par représentation ou diffusion et par mise à disposition d’œuvres de l’esprit sans autorisation des auteurs. Ils étaient poursuivis pour ne pas avoir promptement empêché l’accès à des informations stockées sur leurs serveurs, à la demande d’un tiers, susceptibles de constituer des actes de contrefaçon d’œuvres de l’esprit et de vidéogrammes. L’hébergeur, personne morale, a été condamné à une peine principale de 100 000 € d’amende et le dirigeant social à une peine d’emprisonnement d’un an de prison avec sursis et 20 000 € d’amende ainsi qu’au versement de dommages-intérêts aux ayants droit.
La société DStorage, créée en 2009, exploite le site Internet 1fichier.com qui propose des services de stockage de fichiers sur ses propres serveurs avec une possibilité de diffusion de liens de téléchargement pour les abonnés. Les agents assermentés de la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et de la SACEM et SDRM ont constaté la présence de liens pointant vers des fichiers hébergés vers DStorage reproduisant sans autorisation des œuvres de leurs ayants droit. Ces dernières ont adressé des notifications de retrait de ces contenus à DStorage, sans succès. L’hébergeur considérait que la procédure de notification instaurée par la LCEN ne s’appliquait qu’aux seuls contenus manifestement illicites et non aux contenus contrefaisants violant un droit de propriété intellectuelle. Les ayants droit ont porté plainte pour contrefaçon par reproduction et représentation. Un expert informatique saisi par le ministère public pour analyser les données de téléchargement de fichiers notifiés fournis sur réquisition par DStorage a permis de déterminer que 3 478 fichiers notifiés avaient fait l’objet de 7 277 381 téléchargements.
Le tribunal commence par se prononcer sur les notifications. Il considère que sont manifestement illicites les informations stockées par DStorage à la demande de ses utilisateurs et notifiées par les parties civiles et dont la connaissance effective de ce caractère apparaît pleinement établi au sens du 3. du I. de l’article 6 de la LCEN. Le caractère manifestement illicite, selon le tribunal, découle notamment du nom des fichiers eux-mêmes mais également des liens pointant vers des fichiers litigieux diffusés par des sites notoirement connus pour être des fermes de liens. Pour chacun des faits portés à sa connaissance, le juge va déterminer si le l’hébergeur a réagi dans un délai prompt estimé à 7 jours, en se livrant à une appréciation in concreto pour conclure que l’hébergeur a engagé sa responsabilité pénale en n’empêchant pas leur accès.
Il va ensuite procéder à la qualification pénale des faits reprochés à l’hébergeur. Il considère qu’en maintenant le lien de téléchargement actif et en conservant le fichier sur ses serveurs, l’hébergeur fournit à l’internaute le moyen de commettre une contrefaçon par reproduction. L’intention complice, c’est-à-dire la connaissance du caractère contrefaisant de l’activité, résulte de la connaissance présumée du caractère contrefaisant de l’activité, par l’application du 5 du I de l’article 6 de la LCEN. Il retient donc la culpabilité de DStorage en requalifiant les faits en complicité par fourniture de moyens de stockage des serveurs lui appartenant et le maintien des liens permettant l’accès à ces moyens de stockage, de contrefaçon par reproduction. La qualité de coauteur de l’infraction de contrefaçon par représentation, diffusion, communication et de mise à disposition du public des œuvres de l’esprit et des vidéogrammes est donc retenue et ce à compter de la date de notification, plus sept jours.